La République à petit feu
--> Fractures sociales, fractures démocratiques
Dix ans après le mouvement social de novembre-décembre 1995 surgit un mouvement de contestation qui, dans ses formes, apparaît comme son symétrique opposé : spectaculaire mais invisible. (…) Le registre sécuritaro-militaire de la réponse gouvernementale aux violences urbaines participe de "l'invisibilisation" politique des événements, ainsi réduits à une poussée conjoncturelle d'insécurité civile.
L'agitpop des Inrocks du 16 au 22 novembre 2005 donne la parole à des sociologues :
- François DUBET, professeur à Bordeaux-II, considère que les institutions républicaines dont les Français sont si fiers ne produisent plus que de l'exclusion et du ressentiment :
- François DUBET, professeur à Bordeaux-II, considère que les institutions républicaines dont les Français sont si fiers ne produisent plus que de l'exclusion et du ressentiment :
Avec une arrogance souvent exaspérante, les Français semblent convaincus de la supériorité de leur modèle social. Nos institutions sont les meilleures et les plus efficaces, et quand elles donnent des signes de faiblesse, c'est la faute à la crise, à la globalisation, à tout ce qui, du dehors, menace l'excellence de notre modèle républicain, même quand nous avons 10% de chômage, près de 10 millions de pauvres et quand nos ghettos périurbains ont peu à envier à ceux que nous continuons cependant à regarder de haut.- Laurent MUCHIELLI, chargé de recherche au CNRS, demande de prendre d'abord au sérieux les jeunes si on veut comprendre ce que veulent dire ces "humiliés de la République" :
Je pense pour ma part que ces émeutes s'articulent sur une série d'humiliations accumulées dans les familles depuis des années : une humiliation scolaire. (…) L'école est le lieu d'une sélection qui transforme leur destin social en autant d'humiliations personnelles.- Yves SINTOMER, professeur à PARIS-VIII, diagnostique une "désaffiliation" (concept emprunté à Robert CASTEL) de ces jeunes qui sont seuls :
Aucune organisation politique, aucun mouvement politique ou syndical ne vient relayer leur rage. Ces populations sont frappées par des processus de désaffiliation sur tous les plans, mais le phénomène est encore plus fort du point de vue politique que du point de vue socio-économique.- Stéphane BEAUD, professeur à Nantes, estime que des inégalités raciales viennent de plus en plus se surajouter aux inégalités sociales qui frappent les couches populaires :
Notre appareil statistique officiel a toujours nié les différences entre origines nationales, ce qui explique qu'on n'a jamais vraimant pu les prendre en compte quantitativement dans les analyses des trajectoires scolaires ou professionnelles. (…) L'absence de statistiques a produit des effets dramatiques du fait du décalage entre la réalité et la représentation qu'on pouvait s'en faire. Les syndicats par exemple, qui aiment bien les chiffres (ce sont leurs armes dans les négociations avec les patrons), n'ont jamais pu s'en saisir.- Nacira GUENIF-SOUILAMAS, maître de conférences à Paris-VIII, estime qu'en racialisant les débats, les commentaires évacuent problèmes sociaux et rapports de classes :
La prise en charge politique de se qui se passe se fait en termes de criminalisation. (…) Dans ces conditions, le seul espace d'expression qui est concédé à ces jeunes, c'est celui de la violence physique. C'est celui par lequel ils sont socialement construits et repérables.- Fabien JOBARD, sociologue au CNRS, juge que le ministre de l'Intérieur privant de moyens la police de proximité condamne les force de police à ne plus faire que du maintien de l'ordre :
Que serait-il addevenu des villes et des quartiers sans les politiques municipales ou les politiques de la ville ? Quelle sécurité publique aurait fait naître la police de proximité si elle avait vraiment existé ?Patrick VIVERET, philosophe, auteur d'un rapport pour le Secrétariat d'état à l'économie solidaire (La richesse n'est plus ce qu'elle était, février 2002), replace la crise des banlieues dans une perspective plus large :
« Contrairement à une idée complaisamment répandue nous ne vivons pas actuellement une crise propre à la France même si celle-ci prend dans notre pays certains caractères spécifiques. Les tensions mondiales de plus en plus dramatiques que nous vivons résultent du modèle mortifère que l'on pourrait qualifier de «D-C-D» (dérégulations-compétitions-délocalisations), et s'expriment autant par la crise sociale française que par le spectacle de la fracture sociale et raciale américaine au moment de l'ouragan Katrina, par les murs dressés aux portes de l'Europe et révélés par les drames de Ceuta et Melilla ou par les attentats de Londres perpétrés par des jeunes que l'on croyait « intégrés » à la société britannique. On peut faire l'hypothèse que ces faits dramatiques accompagnent l'entrée en crise de la deuxième « société de marché », apparue avec la révolution conservatrice anglo-saxonne, au début des années 80 » Lire la suite…Patrick VIVERET, est un des animateurs de Voter Y, site coopératif qui se propose de développer l'action citoyenne et l'intiative civique , et notamment de préparer des auditions publiques des candidats à la présidentielle de 2007.