La guerre des réformismes
--> Robert Castel
Dans un texte publié dans Le Monde du 20/01/2004, Robert Castel, sociologue, directeur d'études à l'EHESS, redonne du sens à un projet réformiste de gauche. Extraits.
La société salariale
«La modernisation de la société française et le développement de la production et de la consommation sont allés de pair avec une avancée considérable des droits sociaux et la consolidation de la condition salariale. L'Etat a piloté le développement de l'économie en s'efforçant d'établir un relatif équilibre entre les exigences de productivité et de compétitivité des entreprises et les revendications des salariés. Cette orientation a été si forte qu'elle s'est imposée même aux gouvernements de centre-droite. Ainsi l'Etat gaulliste, à travers la planification et le soutien à une économie d'inspiration keynésienne, a tant bien que mal assuré une relative synergie entre croissance économique et progrès social.»
L'insécurité sociale
«Le réformisme de droite démantèle les droits sociaux et rogne les prérogatives de l'Etat social tout en renforçant celles d'un Etat gendarme pour lequel la répression de la délinquance tient lieu de politique globale pour rétablir la sécurité. Mais les fondements d'une société démocratique sont aujourd'hui surtout menacés par une montée de l'insécurité sociale qui fait qu'un nombre croissant d'individus, et des groupes sociaux tout entiers, sont incapables d'assurer leur avenir. Pourquoi ? Pour une bonne part parce que s'érodent les systèmes de protection contre les aléas de l'existence qui peuvent faire basculer dans la précarité et, à la limite, dans la déchéance : la maladie, l'accident, l'interruption d'activité, la déqualification professionnelle, la dégradation des conditions de vie...»
De la loi au contrat
«Le Medef constitue actuellement le fer de lance de ce réformisme : en revenir de la loi au contrat, c'est-à-dire des impératifs juridiques à des conventions négociées au plus près des interactions entre les partenaires sociaux au sein des entreprises. Mais, plus généralement, dans tous les domaines de la protection sociale et du droit du travail, un véritable militantisme de droite s'affirme avec bonne conscience pour réduire ou supprimer les systèmes généraux de régulations construits par l'Etat social durant sa période d'expansion.»
[Laurence Parisot, présidente de l'Ifop et membre du comité exécutif du Medef, exprime bien ce délire réformiste :"Nous les entrepreneurs, nous pouvons être à ce siècle qui est tout jeune et qui n'a que quatre ans, ce que les instituteurs ont été à la troisième République", a-t-elle estimé. "L'école était à cette époque chargée de former le citoyen: n'est-ce pas à nous, à l'entreprise aujourd'hui, de lui apprendre le nouveau monde?" Quotidien permanent]
Protection sociale minimaliste
«En d'autres termes, ce qui distingue aujourd'hui le réformisme de droite d'un réformisme de gauche, c'est dans une large mesure ce qui différencie une conception minimaliste d'une conception exigeante des protections sociales. Les réformes d'inspiration libérale décousent les systèmes généraux de couverture des risques garantis par l'Etat pour leur substituer des prestations ciblées en direction de publics que leurs faibles ressources placent en situation de dépendance (logique des minima sociaux octroyés sous conditions de ressources aux "plus démunis") - quitte à ce que les gens de bien et qui ont des biens s'assurent eux-mêmes, sur un mode privé, pour tout ce qui ne relève pas d'un panier de ressources minimales nécessaires à la survie.»
Imagination sociologique
«L'autre branche de l'alternative, celle que promeut le réformisme de droite, débouche sur une formation sociale clivée entre les gagnants et les perdants des transformations en cours, ce qui équivaut à renoncer à la volonté de "faire société" avec ses concitoyens.
C'est pourquoi l'élaboration de ce nouveau compromis passe aussi par un renouvellement de l'imagination sociologique et de la volonté politique. Il faut, en particulier, prouver que l'inconditionnalité d'un droit ne se confond pas avec l'uniformité de sa mise en œuvre, et que les régulations juridiques et les interventions de l'Etat social peuvent elles-mêmes se faire flexibles dans un monde marqué par la mobilité et l'individualisation.
Mais poser et vouloir imposer un tel compromis peut aussi être mobilisateur, car le défi est à la mesure de l'enjeu. Il s'agit finalement de rendre opératoire un modèle de société moderne et solidaire dont nul ne serait exclu parce que chacun disposerait de ces supports de droits et de ressources nécessaires pour être, sinon égal, du moins semblable à tous les autres.»
La société salariale
«La modernisation de la société française et le développement de la production et de la consommation sont allés de pair avec une avancée considérable des droits sociaux et la consolidation de la condition salariale. L'Etat a piloté le développement de l'économie en s'efforçant d'établir un relatif équilibre entre les exigences de productivité et de compétitivité des entreprises et les revendications des salariés. Cette orientation a été si forte qu'elle s'est imposée même aux gouvernements de centre-droite. Ainsi l'Etat gaulliste, à travers la planification et le soutien à une économie d'inspiration keynésienne, a tant bien que mal assuré une relative synergie entre croissance économique et progrès social.»
L'insécurité sociale
«Le réformisme de droite démantèle les droits sociaux et rogne les prérogatives de l'Etat social tout en renforçant celles d'un Etat gendarme pour lequel la répression de la délinquance tient lieu de politique globale pour rétablir la sécurité. Mais les fondements d'une société démocratique sont aujourd'hui surtout menacés par une montée de l'insécurité sociale qui fait qu'un nombre croissant d'individus, et des groupes sociaux tout entiers, sont incapables d'assurer leur avenir. Pourquoi ? Pour une bonne part parce que s'érodent les systèmes de protection contre les aléas de l'existence qui peuvent faire basculer dans la précarité et, à la limite, dans la déchéance : la maladie, l'accident, l'interruption d'activité, la déqualification professionnelle, la dégradation des conditions de vie...»
De la loi au contrat
«Le Medef constitue actuellement le fer de lance de ce réformisme : en revenir de la loi au contrat, c'est-à-dire des impératifs juridiques à des conventions négociées au plus près des interactions entre les partenaires sociaux au sein des entreprises. Mais, plus généralement, dans tous les domaines de la protection sociale et du droit du travail, un véritable militantisme de droite s'affirme avec bonne conscience pour réduire ou supprimer les systèmes généraux de régulations construits par l'Etat social durant sa période d'expansion.»
[Laurence Parisot, présidente de l'Ifop et membre du comité exécutif du Medef, exprime bien ce délire réformiste :"Nous les entrepreneurs, nous pouvons être à ce siècle qui est tout jeune et qui n'a que quatre ans, ce que les instituteurs ont été à la troisième République", a-t-elle estimé. "L'école était à cette époque chargée de former le citoyen: n'est-ce pas à nous, à l'entreprise aujourd'hui, de lui apprendre le nouveau monde?" Quotidien permanent]
Protection sociale minimaliste
«En d'autres termes, ce qui distingue aujourd'hui le réformisme de droite d'un réformisme de gauche, c'est dans une large mesure ce qui différencie une conception minimaliste d'une conception exigeante des protections sociales. Les réformes d'inspiration libérale décousent les systèmes généraux de couverture des risques garantis par l'Etat pour leur substituer des prestations ciblées en direction de publics que leurs faibles ressources placent en situation de dépendance (logique des minima sociaux octroyés sous conditions de ressources aux "plus démunis") - quitte à ce que les gens de bien et qui ont des biens s'assurent eux-mêmes, sur un mode privé, pour tout ce qui ne relève pas d'un panier de ressources minimales nécessaires à la survie.»
Imagination sociologique
«L'autre branche de l'alternative, celle que promeut le réformisme de droite, débouche sur une formation sociale clivée entre les gagnants et les perdants des transformations en cours, ce qui équivaut à renoncer à la volonté de "faire société" avec ses concitoyens.
C'est pourquoi l'élaboration de ce nouveau compromis passe aussi par un renouvellement de l'imagination sociologique et de la volonté politique. Il faut, en particulier, prouver que l'inconditionnalité d'un droit ne se confond pas avec l'uniformité de sa mise en œuvre, et que les régulations juridiques et les interventions de l'Etat social peuvent elles-mêmes se faire flexibles dans un monde marqué par la mobilité et l'individualisation.
Mais poser et vouloir imposer un tel compromis peut aussi être mobilisateur, car le défi est à la mesure de l'enjeu. Il s'agit finalement de rendre opératoire un modèle de société moderne et solidaire dont nul ne serait exclu parce que chacun disposerait de ces supports de droits et de ressources nécessaires pour être, sinon égal, du moins semblable à tous les autres.»