La constante macabre de la notation
--> Enseignants sélectionneurs
Pythagore a son théorème, le mathématicien André Antibi, sa constante. La constante macabre. C'est une règle dramatique de la géométrie de l'enseignement en France que ce directeur du laboratoire des sciences de l'éducation de l'université Paul-Sabatier à Toulouse a mis quinze ans à établir. Que dirait-on d'un professeur de maths qui ne noterait aucun élève en dessous de 12/20, demande-t-il. Il serait soupçonné d'être «mauvais» ou au moins «laxiste». Selon lui, tout se passe donc comme si, pour que des notes soient considérées comme bonnes, il fallait qu'il y en ait au moins autant de moyennes et de mauvaises.
C'est cette proportion, apparemment incompressible dans le système français d'évaluation des élèves, d'un tiers de mauvaises notes qui constitue la «constante». Elle est «macabre», ajoute le chercheur, parce qu'elle casse et désespère chaque année un tiers au moins de l'effectif scolaire puis étudiant.
A coup de statistiques et de courbes de Gauss, le constat d'André Antibi exige des enseignants une remise en cause de l'idée qu'ils se font d'eux-mêmes et de leur mission.
C'est pour ne pas «affronter le mammouth» que les éditeurs qui publient par ailleurs ses manuels scolaires ou ses travaux de recherche se sont selon lui défilés. La Constante macabre est du coup éditée à compte d'auteur et, malgré cela, déjà diffusée à plus de 4 000 exemplaires. «Le système de notation de l'enseignement français est pernicieux, se désole le mathématicien toulousain. Il s'impose comme paraissant naturel alors qu'il n'est qu'une vue de l'esprit.» De «diffuseurs de connaissances» qu'ils devraient être, les enseignants se transforment en simples «sélectionneurs» d'un improbable modèle social, analyse-t-il.
Les centaines de questionnaires qu'il a réalisés auprès d'eux révèlent qu'ils ont inconsciemment mis au point une série d'astuces pour que les notes de leurs élèves soient ainsi étalées en équilibre autour d'une moyenne de 10. Au contraire de ce schéma, explique-t-il, il y a le «contre-exemple américain» qui ne produit pourtant pas de moins bons élèves. Ces derniers y sont plus simplement évalués en fonction des connaissances qu'on leur demande d'avoir. Si, outre-Atlantique, la leçon est sue par l'ensemble de la classe, alors l'ensemble de la classe peut décrocher un 20 sans que personne ne se mette à hurler à la «dévalorisation de l'enseignement».
Ce contre-exemple américain serait la parfaite illustration par contraste de cette constante macabre qui fait, juge-t-il, «trop de dégâts» chez les jeunes gens. «Il y a pourtant des solutions pour atténuer la violence du système scolaire», écrit-il encore. Le Conseil national des programmes l'a invité ce mois-ci à les lui exposer. Mais c'est pour sortir du seul bocal de l'enseignement qu'il a écrit son livre à l'adresse du «grand public». Parce qu'il est convaincu qu'il s'agit là d'un «vrai débat de société».

La Constante macabre, d'André Antibi, éditions Math'Adore, Toulouse, 159 pp., 15 euros.

© Par Gilbert LAVAL, Libération, jeudi 01 janvier 2004
Ecrit par ProfSES, le Vendredi 2 Janvier 2004, 14:54 dans la rubrique à suivre.

Commentaires :

Nicolas
06-03-04 à 18:12

Vive les Mathématiques !


Lisez ce livre ! Il est génial !

J’ai eu deux profs cette année en Maths, et autant la première était adorée parce qu’elle notait très sévèrement (moyenne de la classe à 9,5/20), autant le deuxième n’est pas respecté parce que la moyenne de la classe est à 14/20.

Merci à M. Antibi de m’avoir ouvert les yeux, et de m’avoir redonné goût aux Mathématiques.

 
philisoff
18-03-04 à 20:15

Re: Vive les Mathématiques !

dommage que l'on ne sache que le rapport entre l'amour et la sévérité.. n'aime-t-on que parce que l'autre n'est pas dans la séduction...
Il s'agit ici d'un paradoxe : le professeur obsessionnel serait alors préféré à celui qui est hystèrique ...

Il s'agit à l'évidence donc d'un déplacement quasi masochique, qui pourrait signifier la grande névrose de notre enseignement, et des ravages dans la construction du jugement.