Le droit du travail à l'agonie
--> Dégâts collatéraux
Le meurtre de deux inspecteurs du travail, la semaine dernière, par un employeur agricole de Dordogne n'a suscité que bien peu de réactions, sans commune mesure avec l'extrême gravité de cet événement. Loin d'être un fait divers isolé, ce double assassinat est pourtant le fait d'un employeur déjà verbalisé.
Le droit social, produit de l'histoire ouvrière du XXe siècle, a réussi à imposer un ordre public «de protection», c'est-à-dire un ensemble de droits caractéristiques du statut de salarié (droits à la retraite, à l'assurance maladie, à l'indemnisation du chômage et des accidents du travail...). Ces règles impératives s'ajoutent d'office au contrat de travail et libèrent autant que possible les employés des incertitudes et de l'arbitraire de la «condition ouvrière». Au lieu d'un rapport purement contractuel patron-salarié, négocié au cas par cas, le droit du travail a rendu obligatoires un certain nombre de règles protectrices de la partie la plus faible. C'est d'ailleurs le même mécanisme juridique qui est en oeuvre dans le droit de la consommation, ou dans la protection du locataire par des dispositions législatives «d'ordre public».
Depuis quelques années, ce droit protecteur, que l'inspection du travail a pour fonction de faire appliquer, est en net recul. Le droit du travail se contractualise et se privatise, alors que la tradition française a privilégié la loi et les accords collectifs comme normes supérieures s'imposant à tous les contrats.


L'attitude des tribunaux à l'égard de l'application des règles du droit du travail est emblématique de cet état d'esprit. Ainsi, la justice laisse trop souvent les entreprises en excellente santé financière utiliser à leur guise les plans sociaux pour procéder à des licenciements collectifs.

Elle est d'une bienveillante compréhension envers les auteurs d'infractions au droit du travail, pour la simple raison qu'elle applique un taux de classement sans suite des procédures qui frôle 80 % dans certains tribunaux. Elle condamne de plus en plus fréquemment le moindre outrage verbal à agent de la force publique à une peine ferme d'emprisonnement et à des dommages et intérêts de 500 ou 600 euros, et de moins en moins souvent les auteurs d'infractions au droit du travail (le nombre de condamnations a baissé d'un tiers en dix ans). Tandis que les délais de jugement sont de deux jours pour les rébellions et outrages à agent (la procédure de comparution immédiate étant systématiquement utilisée après une garde à vue), la moindre affaire de licenciement abusif initiée par un salarié nécessite un an d'attente pour être examinée par le conseil des prud'hommes, bien que le salarié soit sans ressources pendant ce temps.

Rebonds, dans Libération du 17 septembre 2004, par Evelyne Sire-Marin magistrat, membre de la fondation Copernic et Laurent Garrouste inspecteur du travail, membre de la fondation Copernic.

Ecrit par ProfSES, le Vendredi 17 Septembre 2004, 14:53 dans la rubrique à suivre.