La politique des quotas
--> Archaïsme étatique
Dans Libération du 11 juin, Patrick Weil, commente la politique des quotas introduite sous le vocable d'immigration choisie par le tandem Villepin-Sarkozy.
« C'est une idée ancienne, un archaïsme étatiste, qui a émergé aux Etats-Unis au début du XXe siècle et qui est considéré aujourd'hui comme le plus mauvais des systèmes. Pour les travailleurs non qualifiés, le quota est toujours dépassé et provoque une immigration illégale de masse (c'est notamment vrai aux Etats-Unis, en Italie et en Espagne). Pour les qualifiés, ils ne sont jamais atteints. Pour les familles et les réfugiés, cette approche serait anticonstitutionnelle.»
« C'est sans doute à dessein que Nicolas Sarkozy est resté très vague sur ce que recouvrait le mot «catégorie». Le chef du gouvernement, Dominique de Villepin, a seulement précisé qu'il ne s'agissait pas de quotas «ethniques ou par nationalité». On voit mal qu'il puisse en être autrement : de tels quotas qui introduiraient un classement par «origine» seraient anticonstitutionnels. Créer des quotas pour le regroupement familial ou les mariages ne tient pas non plus la route juridiquement. Le Conseil constitutionnel et la Cour européenne des droits de l'homme reconnaissent le droit à la vie familiale normale, et le droit d'asile est un principe constitutionnel. Par ailleurs, on voit mal le gouvernement se mêler de contrôler le mariage des Français ! Or il est intéressant de noter que les conjoints de Français représentent la principale catégorie de l'immigration régulière en France : en 2002, sur 124 000 titres de séjour délivrés à des non-Européens par les autorités, 45 000 l'ont été à des conjoints de Français... A cela, il faut ajouter le regroupement familial. C'est dire si la majorité des migrants légaux relève de l'immigration de familles, comme en Grande-Bretagne ou en Allemagne.
Nicolas Sarkozy parle en réalité de la seule immigration du travail qualifié. L'idée consiste à pratiquer un tri sélectif entre les étrangers admis sur le territoire national. Le Canada, notamment, a mis en place un système à points à partir de critères comme le niveau d'études des candidats à l'immigration, leurs compétences professionnelles, leur maîtrise de la langue... Mais cette politique est déconnectée du marché du travail, aucun gouvernement ne pouvant prévoir précisément les futurs besoins en main-d'oeuvre qualifiée des entreprises. Une fois entrés sur le territoire canadien, ces étrangers qualifiés ne trouvent pas forcément d'emplois correspondant à leurs compétences. Le problème français est différent. Si, aujourd'hui, des entreprises, des laboratoires de recherche, ne peuvent recruter les étudiants étrangers qu'ils ont repérés, c'est parce que les ministères de l'Emploi et de l'Intérieur s'y opposent. Si le gouvernement veut recruter des émigrés qualifiés, il a les moyens de le faire maintenant en réformant son administration, sans passer devant le Parlement. En 1998, une instruction ministérielle de Martine Aubry a suffi pour attirer des informaticiens en vue du bug de l'an 2000. Cette circulaire a été abrogée par François Fillon (à l'Emploi) et Nicolas Sarkozy (à l'Intérieur). Sous leurs auspices, l'immigration qualifiée a en réalité baissé, passant de 8 800 en 2001 à 6 500 en 2003. »
Patrick Weil est directeur de recherches au CNRS, auteur de La République et ses diversités, Seuil